A Montpellier le procureur refuse de donner suite à la plainte Montlaur.
Le parquet de Montpellier veut enterrer l’affaire Montlaur, du nom du groupe d’hypermarchés dont la faillite a permis à quelques protagonistes du tribunal de commerce de se gaver d’honoraires (environs 80 millions de francs au final). Le réquisitoire de refus d’informer, rédigé le 31 oct. par le procureur de la République, Léonard BERNARD de la GATINAIS, a surpris tout le monde, y compris le juge d’instruction chargé du dossier.
« Je suis consterné par cette tentative d’étouffer un dossier qui justifie à lui seul la réforme des tribunaux de commerce » s’étrangle Antoine Gaudino chargé par Michel Montlaur d’enquêter sur les conditions de sa liquidation judiciaire. L’ex-inspecteur de police a de bonnes raisons d’y voir un blanc-seing à toutes les turpitudes consulaires.
Privé de recours. Le raisonnement du parquet de Montpellier tient en trois points. 1) D’abord, peu importe que l’administrateur et le liquidateur judiciaires (Mes Fabre et Pernaud) se soient payés sur la bête, puisque leurs honoraires ont été entérinés par le président du tribunal de commerce (Michel FROMONT, autodésigné juge-commissaire) : « Leur responsabilité pénale passe nécessairement par celle du magistrat. » 2) Ensuite, il est interdfit de remettre en cause un magistrat : « Une décision de justice ne peut être considérée comme constitutive d’un crime ou d’un délit. » 3) Enfin, si un justiciable n’était pas content, il n’avait qu’à faire appel en temps et en heure. Peu importe en la matière que Michel Montlaur ait été privé de tels recours, faute d’avoir été convoqué aux audiences ou alors à une mauvaise adresse : « La notification des actes repose sur le greffe, en aucun cas sur les magistrats. » La boucle est bouclée !
Ce réquisitoire est cousu de fil blanc. Pour exonérer la responsabilité du président du tribunal de commerce, le parquet de Montpellier invoque une jurisprudence ancienne ( un arrêt de la cour de cassation de 1981) qui de surcroît ne s’applique pas au cas d’espèce : il s’agissait alors de protéger la collégialité des jugements, en évitant de remettre en cause l’un des juges; en l’occurrence, seul Michel FROMONT est en cause.
Pour étayer sa démonstration, le réquisitoire indique qu’un administrateur ou un mandataire judiciaire ne peuvent être poursuivis pour une prise illégale d’intérêt, au motif qu’ils ne sont pas dépositaires d’une autorité publique. Ce qui est très discutable. « Admettre l’argumentation du procureur aboutirait à conférer une immunité absolue aux mandataires judiciaires » souligne l’avocat de Michel Montlaur. Dans son réquisitoire le procureur de Montpellier laisse entr’apercevoir le fond de sa pensée : cette plainte serait une « véritable rebellion contre l’autorité centrale ». Une affirmation puisée rapidement dans un manuel de droit pénal pour évacuer la question de « l’abus d’autorité ».
Drôle de surprise. Le juge d’instruction montpelliérain chargé du dossier, Jean-Louis LESAINT reste libre d’ouvrir une information judiciaire, en dépit des réquisitions du parquet. Ce qui est toujours délicat. A la lecture des réquisitions en question, il a eu une drôle de surprise. Récipiendaire en juillet de la plainte de Michel Montlaur en tant que doyen des juges d’instruction, il se faisait une autre idée de son cheminement.
Prenant les devants, la défense de Michel Montlaur a déposé une demande de délocalisation, au nom « d’une bonne administration de la justice ». Son principal motif : le parquet de Montpellier, théoriquement en charge de la surveillance des mandataires judiciaires, est mal placé pour engager des poursuites après avoir failli dans l’exercice de sa mission : il a laissé passer sans sourciller de multiples ordonnances et requêtes non datées, voire antidatées, permettant la multiplication des honoraires. Le parquet réputé défenseur des moeurs consulaires, est remarquablement muet à Montpellier.
Le serpent risque toutefois de se mordre la queue, puisque cette requête est juridiquement adressée au … procureur général de la cour d’appel de Montpellier, Paul Louis AUMERAS, qui n’est pas neutre dans cette affaire : en août il avait écrit au bâtonnier des avocats pour se plaindre du caractère « violent et vindicatif » de la plainte déposée par Michel Montlaur. Il dispose d’un délai de dix jours pour statuer sur une requête qui le vise indirectement.
« Libération.fr » du 17/11/2000 d’après Catherine Bernard et Renaud Lecadre.