Le 22 janvier 93 Richard Tuil débarque à l’aéroport de Roissy en provenance de Los Angeles où il réside avec femme et enfant depuis deux ans. Il est français, exerce la profession d’architecte d’intérieur et n’a jamais eu maille à partir avec la justice.
Au contrôle, le fonctionnaire de police de l’air examine son passeport, fronce les sourcils et lui fait signe de le suivre. Sans autre forme de procès on lui passe les menottes. « Vous faites l’objet d’un mandat d’arrêt » explique le policier. Et de fait, peu avant 20 heures, un fonctionnaire lui présente la copie d’un mandat, visant Richard Tuil né le 6 avril 1952 à Paris – c’est bien lui – condamné le 5/12/91 à un an de prison ferme pour « escroquerie et recel ». Malgré ses protestations il est conduit au dépôt de Bobigny où il passe la nuit.
Le lendemain matin – c’est samedi – Richard Tuil est présenté à un substitut de permanence, en présence de son avocat qu’il a pu avertir mais qui ne comprend pas davantage cette histoire de fous. Malgré ses protestations Tuil est expédié à Fleury-Mérogis. Il ne sait toujours pas de quoi on l’accuse.
Pour l’avocat commence alors une sorte de parcours du combattant pour obtenir une copie du jugement qui a expédié son client en prison. Le lundi il est autorisé à consulter un document qui contient une dizaine de pages. Mais pas question de prendre une copie : il faut faire une demande écrite et attendre …. plusieurs semaines.
Il prend néanmoins quelques notes et en rend compte à Richard Tuil. Une douzaine de condamnés et plus de cent parties civiles sont impliqués dans cette affaire, tous inconnus de Tuil. Néanmoins il figure dans le jugement comme « complice » ayant encaissé quelques gros chèques.
L’avocat demande alors à consulter le dossier d’instruction pour voir sur quelles charges son client a été, à son insu, condamné. « Impossible » lui répond le tribunal. Le dossier est entre les mains de la cour d’appel qui doit justement rejuger cette affaire très prochainement. Incarcéré depuis quatre jours, Richard Tuil se demande toujours comment des juges ont pu le condamner pour un crime qu’il n’a pas commis.
Six jours pour être entendu !
Le 28, soit six jours après son arrestation il est conduit devant le tribunal correctionnel de Paris qui doit statuer sur son maintien en détention. L’audience a lieu à 15h00. A 13h30 l’avocat obtient enfin une copie du jugement et à 14hoo on consent à lui montrer le dossier d’instruction. Dans quelques dizaines de kilos de paperasses il débusque enfin les chèques endossés par Richard Tuil : la signature de correspond pas.
Inflexible, le parquet, représenté par Hélène CATTON, substitut, demande le maintient en détention. « On connait la chanson, vous dîtes tous la même chose » dit en substance ce magistrat à Richard qui clame son innocence. Mais le président du tribunal, lui, a un doute. Il ordonne la mise en liberté sous contrôle judiciaire, avec confiscation du passeport.
Il faudra plusieurs semaines d’efforts à l’avocat pour trouver l’explication. La juge d’instruction chargée du dossier, Françoise DESSET, était tombée sur quelques chèques produits de l’escroquerie et encaissés par un certain Richard Tuil. Pour toute recherche elle s’est contentée de faire interroger le fichier d’une banque … On lui a trouvé un Richard Tuil qui faisait parfaitement l’affaire. Ce n’était pas le bon. Le véritable escroc, même nom même prénom est né, lui, en 1965. Déjà condamné, il figurait au fichier du Palais de justice sur lequel personne na eu l’idée de jeter un oeil.
Le 18/02/93, la 13ème chambre correctionnelle de Paris rend enfin un jugement qui constate « l’erreur due à l’homonymie » et met Richard « hors de cause ». La représentante du parquet, Hélène CATTON, n’aura pas un mot d’excuse… Après tout l’embastillé par erreur s’en est bien tiré. Alors il ne va pas venir pleurnicher …
« Le Canard enchaîné » n° 3815 du 08/12/1993 d’après Louis-Marie Horeau.